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Décès de Pierre Grandvalet, témoin de la bataille

Publie le 27/10/2010

Pierre Grandvalet. Photo Orne Magazine. En 1944, Pierre Grandvalet a 30 ans et réside au manoir de Boisjos. Cette solide bâtisse domine de sa masse la vallée de la Dives. Lorsque les Polonais, le 19 août au soir, se retrouvent isolés sur la colline, le manoir et ses dépendances se trouvent occuper le saillant nord-ouest de leurs lignes retranchées.

En raison de cette position stratégique, lorsque la contre-attaque du 2e SS-Pz. Korps se déclenche au matin du 20 août, Boisjos devient l’enjeu de luttes acharnées entre les Polonais d’un côté, et de l’autre les Allemands qui tentent désespérément de sortir de la poche ainsi que ceux qui leur ouvrent le passage.

Les Polonais avaient transformé le manoir en infirmerie, où s’entassaient des blessés soignés avec le peu de moyens disponibles. Tout autour, ce n’étaient que combats d’infanterie allant jusqu'au corps à corps, affrontements de chars, salves d’artillerie… Comme M. Grandvalet le rappelait lui-même dans une interview donnée à l’Orne Magazine pendant l’été 2009, pas moins de huit chars ont été détruits immédiatement autour du manoir…

Il assiste avec horreur au point culminant de la bataille le midi du 21 août quand les Polonais à court de munitions vont charger à la baïonnette les positions allemandes afin de rentrer en contact avec les Canadiens venus à leur secours.

Son sort, en tant que civil, est des plus tragiques. Sa femme, enceinte et presque à terme, mettra au monde leur 3ème fils à peine quelques jours plus tard. C’est réfugiés dans un souterrain qu’ils vont attendre patiemment la fin du cauchemar…

Deux chars détruits devant le manoir de Boisjos, dont on peut
aperçevoir le toit en arrière-plan.
Après deux jours, quand la bataille se termine enfin, le spectacle est accablant : cadavres et véhicules, enchevêtrés, jonchent la campagne. De l’aveu même de M. Grandvalet, « Les huit années passées au manoir de Boisjos à m’occuper de la ferme ont été gommées par ces seuls trois jours de bataille ».

Ces quelques jours leur ont rendu les lieux insupportables ; dès le mois de septembre, ils vont quitter pour toujours le manoir hantés de douloureux souvenirs. Il faudra près de 10 ans pour que Pierre Grandvalet puisse revenir sur place.

Dans les années 60, M. Grandvalet livrait son témoignage sur les évènements à Boisjos pour le fascicule « Montormel, la côte 262 nord », rédigé par M. Dufresne. En 1994, il participait à la réalisation du film « le couloir de la mort », qui est désormais diffusé au mémorial de Montormel.

Pierre Grandvalet passait régulièrement nous rendre visite. Je me souviens avec émotion de sa gentillesse et de sa disponibilité quand il s’agissait d’évoquer avec lui ses souvenirs. Je me souviens aussi des larmes qui lui remplissaient immédiatement les yeux quant il évoquait – il le faisait à chaque fois - l’assaut des fantassins polonais, baïonnette au canon, poussant des hurlements guerriers. Il m’expliquait alors qu’il entendait encore parfaitement ces cris dans sa tête, tant ils hantaient régulièrement ses nuits.

Je me souviens aussi de la douleur qu’il manifestait en montrant la photo de son chien, qui fut alors tué à un mètre de lui au cours de ces horribles journées. Ces anecdotes rappelaient la souffrance d’une famille normande plongée, comme tant d’autres, au milieu de la tempête de la bataille de Normandie.

Je présente, ainsi que toute l’équipe du Mémorial, mes plus sincères condoléances à la famille de monsieur Grandvalet.